L'Algérie
13 octobre / 23 octobre 2024
Oran était l’un des arrêts les plus attendus de notre transatlantique, et pas pour rien. Selim, ayant grandi ici, avait hâte de faire découvrir sa ville aux enfants. Quant à moi, j’étais déjà venue deux fois (2011 et 2012) et j’avais été enchantée. À tel point que je m’étais même demandé à l’époque pourquoi Selim avait quitté un si beau pays pour venir chez nous ! Jean-Luc aussi avait un lien particulier : son père avait combattu ici au moment de sa naissance, et il voulait découvrir ce pays qui faisait partie de son histoire familiale.
L’arrivée a été… disons, mémorable : sous une brume de sable du Sahara, la ville s’était parée d’un voile orange apocalyptique. Ajoutez à cela une entrée dans le port à 18h en slalomant entre les tankers, et nous voilà plongés dans l’urbanisation galopante d’Oran. Le Selim nostalgique a pris une claque en retrouvant sa « côte » natale transformée. Les formalités d’entrée ont été une véritable épopée : gardes-côtes, police aux frontières, et l’éternelle question “Mais où va-t-on bien pouvoir caser ce bateau de 12 mètres ?”. Nous avons passé 4 heures à naviguer bureaucratiquement pour dégoter une place, les gardes-côtes insistant pour nous laisser sur le quai de l’horloge. Mauvaise idée ! Entre les bateaux de pêche qui passaient à toute vitesse, faisant tanguer notre voilier comme une balançoire désarticulée, et les vagues cogneuses, il était impensable de rester là 10 jours.
Heureusement, c’était sans compter sur la joyeuse clique de potes de Selim, la fameuse “promo Lycée Lotfi 2003”, qui a rameuté toute la marina pour trouver une solution. À 22h, nous avons enfin eu l’autorisation de la PAF (Police aux frontières) de rejoindre une place dénichée in extremis par Nadir, un ami de Selim auprès de notre sauveur Nacer, membre de l’association Le Phénicia, nous avons pu échapper au terrible quai de l’horloge et amarrer en toute sécurité. Quel soulagement d’arriver là-bas après une traversée longue et éprouvante !
Un séjour imprégné d’émotions et de rencontres authentiques
Ce séjour a été marqué par l’accueil chaleureux des Oranais. La première personne que nous avons rencontrée (en dehors bien sûr des copains de Selim qui nous attendaient avec impatience sur la quai), c’était Nacer, responsable de l’association Le Phénicia et gérant du restaurant Le Corsaire. Une institution locale, réputée pour faire les meilleure paella de la ville ! Non seulement il nous a trouvé une place idéale pour notre séjour, mais dès le lendemain midi, une délicieuse paella géante nous attendait, livrée directement à bord. On peut dire que Nacer sait recevoir !
Nacer est aussi un passionné de voile, un ancien navigateur qui a longtemps écumé la mer avec un certain Jean-Paul. Une belle surprise : ce Jean-Paul est aujourd’hui le président de l’association de voile de Sète où sévit… Jean-Luc ! Les deux hommes ont appelé leur ami commun, échangeant anecdotes et projets de collaborations. Une belle séquence émotion nostalgie et peut-être la génèse d’une régate Sète-Oran à venir ? Inchallah, comme ils disent par ici.
Si je devais résumer l’Algérie en un ABCDaire de quatre mots, je dirais : Anarchie, Beau, Chaleur (ou Convialité) et Dommage.
– Anarchie, parce que la circulation, c’est un peu comme un western où les plus audacieux (ou les plus vieilles autos increvables) gagnent. Lucien, dès le deuxième jour, observant les feux tricolores, a fièrement conclu : “J’ai compris, ici les feux ne servent à rien !”. En moins de 48h, il avait percé les mystères de la circulation oranaise.
– Beau, parce que l’Algérie regorge de joyaux culturels, et c’est un pays incroyablement riche en patrimoine. À Oran, on a la Vierge Marie qui domine la ville, les fortifications espagnoles qui nous murmurent des histoires de l’époque coloniale, et les côtes algériennes parsemées de petites îles à l’horizon. Puis il y a Tlemcen, ma ville coup de cœur. Avec ses héritages architecturaux zianides et mérinides, elle conserve une ambiance unique, comme un voyage dans le temps.. Mais c’est surtout beau par la chaleur humaine, cette générosité infinie. Nous n’avons presque pas eu besoin de cuisiner, tant nos journées étaient remplies d’invitations à déguster des paellas, couscous maison, chorbas, pastellas… Je ne vous parle même pas des baklawas !
La joyeuse bande d’amis de Selim, chacun avec sa petite famille, nous a accueillis comme des rois et aidés à nous installer (trouver une location de voiture, faire des courses, change euros/dinars…) et baladés un peu partout le soir, après le travail. Les enfants ont adoré retrouver des copains de leur âge, la petite Sedja a insisté pour fêter ses 5 ans à bord avec tous et Célian n’a pas pu s’empêcher de pleurer au moment de partir.
– Et enfin, dommage… Dommage de voir tant de potentiel se détérorier. Je pense qu’il ne passait pas un jour sans entendre Selim dire « dommage ». Oran n’étant pas un pays touristique, la préservation du patrimoine n’est pas une priorité. Le vieux centre-ville s’effondre lentement, et les anciennes bâtisses comme l’ancien hopital espagnol ou les façades haussmanniennes menacent de tomber en ruine. Dommage aussi pour l’environnement, les plages étant envahies de déchets malgré les efforts des associations locales. Une anecdote à ce sujet : dès le premier matin, Lucien et Célian, motivés comme jamais, ont sorti leurs pinces à déchets et nettoyé les quais autour de l’association Le Phénicia. Lucien était tout fier d’avoir reçu des remerciements du gardien, qui se charge normalement lui-même de ce dur labeur. Sauf que 10 minutes plus tard, on entendait Lucien s’énerver déjà, poing levé, contre un pêcheur qui, sans gêne, déversait ses détritus… directement dans l’eau. Il faudra plus qu’un monumental travaille de sensibilisation pour changer les comportements… C’est surtout dommage de voir la côte sauvage disparaître sous l’urbanisation sauvage. Des lois existent, mais leur application est… disons, souple. Selim ne cessait de répéter : “Ce n’était pas comme ça avant, ce n’était pas comme ça.” C’est un crève-cœur pour lui de voir ces changements à une telle vitesse.
En résumé, Oran a été une étape intense et marquante, à la croisée des émotions, des découvertes et des contrastes. Avec la beauté brute de son patrimoine et la générosité de ses habitants, qui nous ont accueillis comme des membres de leur propre famille. Malgré ses imperfections, ce séjour nous a offert une véritable immersion, une belle leçon de vie, d’amitié et de chaleur humaine, qui nous a profondément touchés. C’est avec un pincement au cœur que nous quittons Oran, mais avec une certitude : celle d’y revenir, et bien avant 10 ans cette fois, car ce voyage au-delà des paysages est avant tout une aventure humaine inoubliable.
Oran
Entre souvenirs et découvertes
Oran, c’était une étape incontournable de notre périple. Pas la première fois pour moi, mais cette fois, c’était l’occasion rêvée de la faire découvrir aux enfants et à Jean-Luc, qui attendait ce moment avec impatience. Après tout, c’est ici que Selim a grandi, et il tenait à partager un bout de ses souvenirs avec nous. Dès notre arrivée, la ville dévoile ses trésors. Perchée sur les hauteurs, Santa Cruz veille sur Oran avec son fort espagnol et la Vierge Marie, offrant une vue à couper le souffle sur toute la baie. Un panorama unique qui vaut bien la montée, même sous le soleil ! En descendant vers le centre, on croise la majestueuse cathédrale, avec sa façade mélangeant subtilement influences européennes et orientales. Elle est désormais convertie en bibliothèque, preuve que l’histoire sait s’adapter au présent. Quant au cœur haussmannien, il regorge de belles façades, de cafés historiques comme La Cintra (où Camus a rédigé une partie de La Peste – rien que ça !), de la Place d’Armes et de l’opéra, qui nous transportent dans un autre temps. Oran, c’est un peu un livre d’histoire ouvert, où chaque coin de rue a quelque chose à raconter.
Une ambiance conviviale et des retrouvailles inoubliables
(et des rencontres pour la génération 2.0)
Au-delà du patrimoine, Oran, c’était surtout l’occasion de retrouver les copains. La joyeuse bande de Selim, promotion lycée Lotfi 2003 notamment, nous a réservé un accueil des plus chaleureux. Tous les soirs, c’était la fiesta à bord de Pytheas, entre les plats qu’on partageait et les éclats de rire qui résonnaient dans le port. Et quand ce n’était pas chez nous, c’était nous qui étions invités à découvrir les spécialités oranaises chez les amis ou la famille. Nos soirées se sont vite remplies de couscous, chorbas, et surtout de joyeuses discussions autour de l’avenir d’Oran et des souvenirs de jeunesse de Selim et ses amis. Même les enfants ont trouvé leur bonheur, jouant avec les petits copains qu’ils rencontraient au fil des journées. Une atmosphère chaleureuse et authentique qui nous a rapidement fait oublier les tracasseries administratives du port. À Oran, les rencontres humaines et les moments de partage priment, et on repart de là avec la tête pleine de beaux souvenirs et un seul regret : devoir dire au revoir.
Tlemcen : La perle cachée de l’Ouest
Ouest
À une centaine de kilomètres d’Oran, Tlemcen nous a réservé une tout autre ambiance, presque hors du temps. Là-bas, c’est comme si l’histoire se murmurait à chaque pas. Cette ville aux racines berbères et andalouses regorge de trésors architecturaux. Impossible de manquer la mosquée de Sidi Boumediene, chef-d’œuvre de l’art mérinide, dont les mosaïques et les décors ciselés nous laissent sans voix. Puis il y a la majestueuse Mechouar, l’ancienne citadelle royale, véritable témoin de l’époque des Zianides, qui s’impose encore fièrement. Le centre-ville, quant à lui, nous offre une balade agréable entre médina et marchés animés, mais ce sont les ruines d’El Mansourah avec son minaret solitaire qui m’ont le plus impressionnée. Comme un vestige hors du temps, il rappelle l’apogée et la chute de cette cité autrefois capitale. Bref, à Tlemcen, l’histoire se dévoile à ciel ouvert et son architecture nous raconte un passé aussi riche que fascinant, le tout dans une atmosphère paisible et chaleureuse.